La justice des enfants fait son cinéma

Depuis l’invention du cinéma les jeunes spectateurs remplissent les salles obscures : pour rire, pleurer, avoir peur et s’embrasser. Nombreux sont les films qui racontent tant la jeunesse qui va bien que la jeunesse qui va mal.

Mais quels liens se sont tissés entre le grand écran, les familles, les politiques et la justice des enfants ? 

Cette exposition se propose d’offrir quelques réponses. 

Les visiteuses et visiteurs deviendront, pour quelques heures, des spectatrices et spectateurs. Cinq salles de projection leur seront proposées pour une immersion autour de cinq thématiques.

Entre les années 1900 et les années 2010, un très grand nombre de films décline la problématique de la délinquance juvénile et de son traitement. Des films reconnus et primés, des fictions plus méconnues, en France ou à l’étranger :

La Marâtre (1906), L’Enfant de Paris (1913), The Kid (1921), Le Journal d’une fille perdue (1929), Zéro de conduite (1933), Prison sans barreaux (1938), Boys town (1938),  La Cage aux rossignols (1945), Sciuscià (1946), L’Équipée sauvage (1953), Chiens perdus sans collier (1955), La Fureur de vivre (1955), Les Quatre cents coups (1959), Terrain vague (1960), Les Cœurs verts (1966), Family life (1971), Orange mécanique (1971), Laisse Béton (1984), La Petite voleuse (1988), La Haine (1995), Ma 6-t va crack-er (1997), Bande de filles (2014), La Tête haute (2015)…

La sortie de chacun de ces films déclenche des réactions contrastées dans la presse grand public et en particulier dans les revues spécialisées de l’éducation populaire, du travail social et de la police. Entre rejet, dénonciation, récupération, la fiction a maille à partir avec la réalité du terrain. 

La jeunesse raffole des salles obscures 

Il est indéniable qu’à partir des années 1950, la jeunesse raffole des salles obscures et le cinéma devient un des loisirs abordables et prisés pour cette classe d’âge. À cette période, notamment dans les milieux populaires, les adolescentes et adolescents s’y rendent une ou deux fois par semaine voire beaucoup plus.

Cet engouement n’est pas sans préoccuper les spécialistes de la jeunesse : plusieurs enquêtes sont alors commanditées par la direction de l’Éducation surveillée et des commissions se posent en censeurs des films à voir ou à éviter.

 En 1949, est créée une commission, destinée à étudier l’influence du cinéma sur la criminalité juvénile, à laquelle sont associés de nombreux experts issus de diverses disciplines, dont des professionnels de l’Éducation surveillée.

Les méfaits fantasmés du cinéma

Il est remarquable d’observer le paradoxe de la situation : les jeunes délinquants placés en observation sont questionnés sur leur attraction pour ce loisir et devant leur enthousiasme unanime pour le grand écran, les experts déduisent par un syllogisme digne de Ionesco que c’est le cinéma qui provoque le comportement délictuel des jeunes.  Les débats qui ont lieu alors pendant les congrès internationaux de psychologie ou de criminologie, témoignent de l’importance acquise par les thèses sur le caractère criminogène des images animées.

Les inquiétudes à l’égard du cinéma et de ses effets potentiellement néfastes sur l’enfance sont flagrantes dans les années 1950-1960. Mais elles réapparaissent régulièrement, et ce jusqu’à aujourd’hui. Il n’est pas rare que la violence juvénile soit expliquée par celle des films de fiction. Les arguments à l’encontre du grand écran se reportent par la suite sur la télévision, les jeux vidéo et les réseaux sociaux.

Dans le cadre de l’exposition, problématiques et scénographies s’organiseront en interrogeant à la fois les relations entre la jeunesse et le cinéma depuis les années 1900 et les liens étroits tissés par les politiques, les familles et le monde judiciaire et expertal entre délinquance juvénile et fiction cinématographique. Les films sont-ils de simples reflets de la réalité ou des représentations stéréotypées ? Ont-ils le pouvoir de pervertir les enfants ou peuvent-ils servir à dénoncer certaines injustices dont sont victimes les jeunes et plus particulièrement les « délinquants » ?

Le phénomène cinématographique suscite quoi qu’il en soit des peurs sociales révélatrices des époques traversées. Des « bagnes d’enfants » aux foyers éducatifs, la narration, écrite par les scénaristes, filmée par les réalisatrices et réalisateurs, et incarnée par les comédiennes et comédiens se résume-t-elle à un miroir déformant de la réalité ?

Une scénographie cinématographique

Salles obscures, extraits de films, affiches, archives de presse mais également témoignages de jeunes, rapports psychiatriques, enquêtes sociologiques, compte-rendus de congrès seront les documents principaux permettant de raconter l’histoire complexe mais passionnante de ces relations entre cinéma, jeunesse et délinquance.

Cette exposition sera présentée au centre d’exposition Enfants en justice (ENPJJ). Situé à Savigny-sur-Orge (Essonne), il organise régulièrement des expositions thématiques. Les dernières se sont intéressées, entre autres, aux professionnels de la justice des enfants : Les professionnels de la justice des enfants XIX-XXIe siècle, en 2011-2012 (ENPJJ, CESDIP, AHPJM) ; à la déviance et délinquance des jeunes filles : Mauvaises filles en 2015-2016 (ENPJJ, Paris 1, Paris 8, Université d’Angers, de Bordeaux, de Lille 2, AHPJM) et à l’altérité : L’Autre au pays de la justice des enfants en 2019-2020 (ENPJJ, INJEP, DAP, Paris 1, Paris 8, Fondation Françoise Tétard, AHPJM).

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